Si à l’heure actuelle on peut observer une certaine évolution du jeu vidéo, avec davantage de personnages LGBT et autres groupes oppressés, nous n’avons hélas toujours pas de jeux ouvertement militants.
Dykie Street est là pour changer la donne, un projet initié par deux femmes qui n’avaient jusque là aucune expérience dans la création de jeu vidéo. Mais force est de constater que le résultat est très probant et parfaitement dans la ligne directrice que s’étaient imposée les créatrices (leur page FB ici D.I.Y.KEcrew).
Et sinon le but du jeu ? Il est simple, vous êtes Dykie, un personnage au genre indéfini, qui se promène dans la rue en détournant les tags insultants, avant de s’en prendre ensuite aux affiches sexistes. Un concept rafraichissant, bien que la frustration soit également au rendez-vous, le jeu n’excédant pas les dix minutes (à moins que vous vous amusiez à glisser sur la peau de banane…). Cependant, le jeu n’oublie pas de rappeler que la lutte continue IRL !
Mais laissons parler les créatrices, qui ont accepté de nous accorder une interview ! 🙂
Mogeek : Tout d’abord félicitations à vous, car cela a dû être difficile à prendre en main. Pourquoi avoir choisi le Pico-8 plutôt qu’un autre langage ?
DIYKE : Merci, c’est vrai qu’on est fières d’avoir réussi à aller jusqu’au bout du projet ! En tant que femmes nous sommes peu encouragées à expérimenter les outils numériques, c’était une vrai démarche d’empowerment.
On a découvert le logiciel Pico-8 en participant à un atelier animé par Le Reset (https://lereset.org), un hackerspace féministe. La prise en main a été rapide car l’interface est assez intuitive et permet à la fois la création graphique, sonore et la programmation avec le langage Lua. C’est là qu’on s’est dit qu’on pouvait faire un outil pédagogique féministe sous forme de jeu vidéo ! On a beaucoup été inspiré par la créatrice de jeux vidéo queer, Anna Anthropy (https://w.itch.io), notamment son jeu Dys4ia qui retranscrit son parcours trans.
Nous nous sommes lancées dans cette aventure avec l’envie d’expérimenter et de bidouiller, on a vite découvert que la communauté Pico-8 partageait beaucoup de ressources (tuto, fanzines, wiki…) et que les scripts des cartouches (=jeu édités sur le site https://www.lexaloffle.com) étaient visibles et librement réutilisables, ce qui nous a permis d’apprendre et de maîtriser le logiciel assez bien pour arriver à nos fins. Il nous a quand même fallu une centaine d’heures de travail… mais on s’est surtout beaucoup amusé !
Mogeek : Votre page Facebook présente votre collectif comme un groupe de création et de partage d’outils féministes dans le domaine des jeux vidéo. Cela veut dire que vous avez d’autres projets en cours ?
DIYKE : Pas encore en cours, dans un premier temps nous voulons partager ce premier jeu. Un de nos objectifs est qu’il permette d’animer des ateliers sur le sexisme pour un public très large, dans les classes ou lors de festival par exemple.
Mais à terme, oui ! Nous voulons diversifier les outils et les thématiques féministes abordées : l’héterosexisme dans les parcours de soin, les manifestations féministes face aux crs, ou plus léger un jeu sur les gouines et le dating… on ne manque pas d’idées !
Mogeek : Dykie on l’aime bien, et pas que nous. Pensez-vous prolonger l’expérience dans un vrai jeu complet, éventuellement par crowd-funding ou autre ?
DIYKE : Nous aussi on aime beaucoup Dykie ! Nous avons mis du temps à créer le visuel de cet-te héro-ine. Nous voulions que sa peau ne soit pas vue comme blanche et que l’expression de son genre ne soit pas définie. On a aussi dû écrire tous les textes de manière à ce que ce perso ne soit pas genré.
Il est possible qu’on la/le réutilise pour un futur jeu dans une autre situation. Mais nous n’avons pas pour projet de créer de jeu plus complet, avec plusieurs niveaux, etc.
Nous utilisons le jeu vidéo comme outil pédagogique, de sensibilisation à une thématique. C’est un super média, qui permet à la joueuse/au joueur de se projeter à la place du personnage et de trouver des moyen d’action par rapport à une situation. Le potentiel pédagogique est énorme, sans parler de l’aspect ludique, qui est aussi important pour nous.
Lors du déroulement d’un atelier, le jeu doit être rapide pour laisser une place à l’échange ensuite. Nous allons faire notre première intervention dans une classe de 1ere ES la semaine prochaine, nous avons hâte de découvrir comment les élèves vont réagir !
Mogeek : Dykie a de la chance, elle a droit à des autocollants à apposer sur les affiches sexistes, vous sauriez où en trouver ?
DIYKE : Dykie Street est en grande partie inspiré de faits réels !
Plusieurs collectifs féministes s’organisent pour lutter contre les images sexistes et inventent des outils pour se réapproprier l’espace publique.
Il y a des brigade anti-sexiste, dans plusieurs grandes villes (Paris, Lyon, Grenoble…), qui programment des déambulations collectives ouvertes à tou-te-s, dans les rues, dans le but de coller des autocollants « sexistes » sur les images sexistes rencontrées.
A Paris, il y a le collectif féministe et queer La Rage, qui diffuse librement des affiches féministes, (sérigraphiées ou à télécharger sur le site http://www.larage.org) pour pouvoir recouvrir les murs et prendre la place dans l’espace public.
Le collectif FièrEs (https://fieres.wordpress.com) débarrasse les trottoirs de Paris des pochoirs fascistes en les recouvrant de leurs pochoirs féministes.
Et sinon, comme Dykie, il suffit d’un marqueur et d’un peu d’imagination pour détourner un tag insultant 😉
Mogeek : Mais pourquoi cette peau de banane ??? (rires)
DIYKE : Lors de la présentation de la version bêta test à nos ami-e-s, illes ont regretté de ne pas pouvoir interagir plus avec le décor. On a donc décidé de programmer cette glissade sur la peau de la banane ! Et c’est que qui nous a pris le plus de temps dans la création du jeu ! Ahah !
Les possibilités de Pico-8 sont quand même restreintes au niveau graphique et de la programmation. On a pu être frustrée de ne pas pouvoir développer d’avantage certaines fonctionnalités du jeu, mais cela nous a obligé à aller à l’essentiel. Et avec ce clin d’oeil à l’imaginaire collectif du mythe de la peau de banane glissante on a pu rajouter un détail geek qui nous a beaucoup amusé, et on est heureuse que le plaisir soit partagé !
Mogeek : On espère pour vous que votre groupe continuera sur sa belle lancée, et si vous aviez quelque chose à rajouter, cela serait quoi ?
DIYKE : On est ravies de l’engouement pour Dykie Street, on espère que Dykie donnera envie de réagir dans la rue au sexisme ordinaire !
Internet comme les jeux vidéos ou la rue ne sont pas des espaces ou les femmes et les queers sont les bienvenues : images dégradantes, stéréotypes, harcèlement… tout est fait pour qu’on ne se sente pas à notre place. A nous de nous créer nos propres espaces et nos propres outils, de partager nos savoirs-faire pour multiplier nos possibilités. Nous avons des moyens d’action et nous en sommes capables, à l’instar de ce site Mogeek.fr ou des festival de queer games qui fleurissent de plus en plus !
On rappelle les adresses web
La page FB du groupe : https://www.facebook.com/D.I.Y.KEcrew/
Le lien vers le jeu : https://www.lexaloffle.com/bbs/?tid=31155